J.O. 27 du 1 février 2007
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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 12 janvier 2007 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2007-546 DC
NOR : CSCL0709937X
LOI RATIFIANT L'ORDONNANCE N° 2005-1040 DU 26 AOÛT 2005 RELATIVE À L'ORGANISATION DE CERTAINES PROFESSIONS DE SANTÉ ET À LA RÉPRESSION DE L'USURPATION DE TITRES ET DE L'EXERCICE ILLÉGAL DE CES PROFESSIONS ET MODIFIANT LE CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE
Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution la loi ratifiant l'ordonnance no 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions, modifiant le code de la santé publique et habilitant le Gouvernement à modifier les dispositions relatives aux soins psychiatriques sans consentement, et plus particulièrement ses articles 23 et 24.
1. L'article 24 méconnaît les principes constitutionnels
de protection de la santé
Le premier alinéa de cet article prévoit que les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, pendant un délai de quatre mois et à défaut de la conclusion un mois après l'entrée en vigueur de la présente loi d'un avenant conventionnel autorisant certains médecins, et sous certaines conditions, à pratiquer de manière encadrée des dépassements d'honoraires, pourront prendre un arrêté pour modifier à cet effet les dispositions de la convention nationale des médecins généralistes et spécialistes conclue le 12 janvier 2005.
Le deuxième alinéa de cet article prévoit que cet arrêté pourra modifier tarifs et rémunérations de médecins relevant de certaines spécialités autorisés à pratiquer des dépassements, lorsque aucun dépassement n'est facturé, pour les rendre égaux aux tarifs applicables aux médecins qui ne sont pas autorisés à en pratiquer.
L'objet de cet article est donc d'accélérer la mise en oeuvre d'un secteur dit optionnel, suite à l'accord du 24 août 2004 relatif à la chirurgie.
L'Union nationale des caisses d'assurance maladie, les partenaires conventionnels et les organismes complémentaires ont, dès le mois de septembre 2006, engagé des discussions sur les modalités de mise en oeuvre d'un secteur optionnel qui serait ouvert à certains médecins sous certaines conditions de titres et permettrait des pratiques de dépassements d'honoraires au-dessus des barèmes de la sécurité sociale.
Elles n'ont pas abouti, mais désormais elles se poursuivent sous la contrainte d'une disposition législative créant une obligation de résultat pour mettre en oeuvre ce secteur optionnel. A défaut le Gouvernement pourra par arrêté modifier la convention nationale du 12 janvier 2005 dans cette optique. Le Gouvernement se substitue ainsi, pour un temps limité, au système conventionnel.
Cet article serait destiné à répondre à une préoccupation exprimée par les chirurgiens en termes de rémunérations et de pratiques. Il s'agirait d'éviter la disparition complète du secteur à tarifs opposables, le secteur 1, dans le domaine de la chirurgie et donc de garantir et renforcer l'accès aux soins.
Le secteur de la chirurgie connaît effectivement une crise aux causes multiples liées à la formation des praticiens, à la sécurité de soins, à l'attente légitime des patients, à la nature des risques professionnels et à leurs modalités de couverture assurantielle, à la complexité et à la multiplication des gestes techniques, à leur évaluation et aux modes de rémunération.
La solution proposée par le Gouvernement est d'autant plus inadaptée qu'elle n'est pas préconisée par les chirurgiens eux-mêmes. La tribune libre de chirurgiens, membres du bureau du Conseil national de la chirurgie, publiée le 27 décembre 2006 dans le quotidien Le Figaro, intitulée « Offrons à tous les Français l'accès à une chirurgie d'excellence », est de ce point de vue très significative.
En réalité, les dispositions de l'article 24 aboutissent à l'effet strictement opposé à l'objectif recherché. Ce faisant, la réponse apportée porte directement atteinte aux principes constitutionnels d'accès à la santé et aux soins garantis par les dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946, aux termes desquels « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. ». « Elle garantit à tous... la protection de la santé, la sécurité matérielle... ».
Ces exigences constitutionnelles permettent d'établir le lien étroit, fondé sur le principe d'égalité devant la solidarité nationale et les charges publiques, entre le droit à la santé et le droit à la protection sociale.
Votre jurisprudence a régulièrement précisé les obligations faites au législateur d'une part, et au pouvoir réglementaire d'autre part, pour que ces principes soient respectés. Très récemment, votre décision no 2004-504 DC du 12 août 2004 a précisé que la participation forfaitaire pour certains actes ou consultations pris en charge par l'assurance maladie en application du II de l'article L. 322-2 du code de la sécurité sociale devra être fixée à un niveau tel que ne soient pas remises en cause les exigences constitutionnelles relatives à la protection de la santé.
L'assuré social ne peut être en aucun cas la variable d'ajustement de la politique de protection sociale. Procéder aux nécessaires adaptations de notre système de sécurité sociale et d'accès aux soins, à la recherche d'un financement pérenne et durable y contribuant, ne peut conduire à un système où la protection sociale serait moindre pour les plus démunis, où la solidarité nationale serait à deux vitesses. Tels sont pourtant les effets inévitables de l'application des dispositions de l'article 24.
Au nom d'une urgence pour la chirurgie, cet article permettrait de renforcer l'offre médicale par la création d'un secteur optionnel accessible aux professionnels disposant des titres requis pour accéder au secteur à honoraires libres, le secteur 2. Ce secteur optionnel serait caractérisé par une pratique de dépassements encadrés. Le Gouvernement entend donc développer, pour la chirurgie, le secteur optionnel au détriment du secteur 2. Ultérieurement, rien n'interdira qu'il en soit de même pour d'autres spécialités.
Face à un véritable problème de vocation professionnelle dans un secteur particulier, est proposée une solution d'ordre général qui fait porter sur les assurés sociaux les dépassements d'honoraires et qui conduit à une méconnaissance très forte des principes constitutionnels de protection de la santé et d'égalité d'accès aux soins.
Dans la pratique, les chirurgiens du secteur à tarifs opposables se dirigeront inévitablement vers le secteur optionnel où les dépassements seront autorisés.
Depuis 1990, l'accès au secteur 2 a été réservé aux seuls nouveaux médecins installés, et, par conséquent, interdit à tous les anciens chefs de clinique qui avaient fait le choix du secteur 1 au moment de leur installation.
Le nouveau mécanisme permettra peut-être aux médecins de faire le choix du secteur optionnel au moment de leur installation. Il incitera sûrement les médecins actuellement installés en secteur 1 à faire le choix du secteur optionnel, en lieu et place du secteur 2 qui leur est fermé.
L'effet sera strictement contraire à celui affiché par le Gouvernement. Cet article met en place au sein de notre système de protection sociale un nouveau secteur à honoraires supérieurs à ceux du secteur 1, dont la prise en charge par les caisses d'assurance maladie sera relativement plus faible et le reste à charge pour les assurés plus élevé.
Le secteur optionnel se développera au détriment du secteur 1 et non du secteur 2. La part des chirurgiens exerçant en secteur à tarifs opposables diminuera au profit d'une augmentation du nombre de chirurgiens en secteur où les dépassements d'honoraires seront autorisés.
Par le biais de l'article 24, le Gouvernement programme la disparition progressive du secteur à tarifs opposables pour la chirurgie. De ce point de vue, cet article ne peut être considéré comme protégeant l'accès, pour tous les assurés sociaux, aux soins chirurgicaux.
Les dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article 24 ne constituent en rien une précaution par rapport aux dépassements d'honoraires prévus dans le cadre du secteur optionnel et ne permettent pas d'affirmer, et encore moins d'assurer, que l'accès aux soins chirurgicaux n'est pas remis en cause.
Il s'agit avec cet alinéa d'inciter les médecins du secteur 2 à pratiquer des tarifs opposables, en les faisant bénéficier des avantages du secteur 1, à supposer que les avantages du secteur 1 soient effectivement supérieurs à ceux du secteur 2. Les médecins qui se sont installés en secteur 2 dans des conditions qu'ils ont jugées favorables parce qu'ils pouvaient pratiquer des dépassements d'honoraires n'ont aucune raison objective de considérer que les avantages du secteur 1 leur seraient tout d'un coup devenus favorables, car ils devraient ne plus pratiquer de dépassements d'honoraires.
Cette disposition est totalement inopérante et ne peut être considérée comme le moyen de renforcer l'offre de soins à tarifs opposables et donc de garantir les principes constitutionnels de protection de la santé.
Finalement, l'argumentaire selon lequel les organismes complémentaires prendront en charge la différence entre le tarif pratiqué et le tarif remboursé ne saurait servir de garantie à l'égal accès aux soins et au respect des principes constitutionnels. Non seulement, l'obtention d'un accord avec les organismes complémentaires sur ce point n'est pas avérée, mais de plus il est illusoire d'imaginer qu'en l'espèce les tarifs des organismes complémentaires n'augmenteraient pas pour assumer ces charges nouvelles.
De plus, rien n'oblige les organismes complémentaires à couvrir les risques professionnels liés par exemple à la pratique chirurgicale, que manifestement le Gouvernement ne souhaite pas prendre en charge dans l'immédiat.
Au total, c'est l'assuré social qui fera les frais de la mise en oeuvre d'un secteur optionnel. L'augmentation du reste à charge pour les patients dans le cadre d'actes chirurgicaux en général coûteux sera un véritable obstacle à l'accès aux soins pour tous. Au-delà de la chirurgie, l'accès à des soins lourds et indispensables sera progressivement compromis, si ultérieurement le secteur optionnel se développe dans d'autres spécialités.
Au prétexte de sauver le secteur de la chirurgie, l'article critiqué remet en cause les principes de solidarité de notre système de protection sociale. Tout à la fois, l'assuré social sera moins bien remboursé par le régime complémentaire, subira des hausses de cotisation de l'organisme complémentaire dont il dépend, devra renoncer à certains soins.
Il existe de meilleures dispositions que le secteur optionnel pour assurer la protection de la santé et l'accès aux soins pour tous. Pour toutes ces raisons, cet article ne peut qu'être censuré.
2. L'article 23 a été adopté selon une procédure
contraire à la Constitution
Cet article autorise le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions législatives relatives aux soins psychiatriques sans consentement. Il résulte d'un amendement du Gouvernement adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, que le Sénat a ensuite adopté sans modification.
Le législateur a souhaité remplacer par cette habilitation, prise en application de l'article 38 de la Constitution, les dispositions prévues aux articles 18 à 24 du projet de loi de prévention de la délinquance.
L'usage de la procédure des ordonnances est strictement encadré. Ainsi, le champ d'intervention des ordonnances doit être strictement défini. De même, les dispositions d'une loi d'habilitation ne peuvent avoir pour effet de dispenser le Gouvernement de respecter les règles et principes constitutionnels. Sur un sujet qui touche directement aux libertés publiques, la plus grande vigilance doit s'exercer en la matière. Le 3° de cet article porte notamment sur l'information et le rôle des professions de santé et des autorités locales sur les procédures de levée de soins. Le Gouvernement serait donc autorisé à légiférer par ordonnance sur des matières relevant à la fois du secret médical et de l'ordre public.
Au-delà de ces questions de fond, la première condition que le Gouvernement et le législateur doivent respecter dans le cadre de la procédure de l'article 38 de la Constitution est celle relative à la procédure parlementaire. Si le Gouvernement demande au Parlement de se dessaisir temporairement de son pouvoir législatif, il ne peut que le faire en respectant le droit d'amendement et la procédure parlementaire issus des articles 44 et 45 de la Constitution.
Le droit d'amendement des parlementaires et du Gouvernement doit s'exercer pleinement au cours de la première lecture des projets et propositions de loi par chacune des deux assemblées. Pour répondre aux exigences de clarté et de lisibilité du débat parlementaire, ce droit ne saurait être limité que par les règles de recevabilité ainsi que par la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie. Cette jurisprudence a été régulièrement précisée, et notamment dans le cadre de la décision no 2006-533 DC du 16 mars 2006 (considérant 5).
Le projet de loi no 2674 déposé à l'Assemblée nationale le 14 novembre 2005 avait pour objet d'une part de ratifier l'ordonnance du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et d'autre part d'en compléter ou d'en rectifier certaines dispositions.
En aucun cas n'étaient contenues dans le projet de loi déposé initialement à l'Assemblée nationale des dispositions relatives aux soins psychiatriques sans consentement.
L'article 23 a donc été adopté selon une procédure contraire à la Constitution et doit donc être censuré.